Medias et "miracles médicaux" : à trop en faire, l'info ce n'est pas le paradis.samedi 11 avril 2009 à 16:58 :
On dit qu’un médecin ne comprend ses patients que le jour où il est lui-même malade ou hospitalisé. C’est très vrai. Et quand ce médecin est aussi journaliste, il se dit que, parfois, il devrait encore plus écouter ce qui disent les patients, notamment sur les forums de discussion.
Plus le temps passe et plus je suis convaincu que la médecine s’apprend, certes, dans les livres, mais aussi au contact des patients et également de leurs proches.
J’ai l’opportunité d’aller dans des grands congrès internationaux, écouter des équipes présenter les résultats d’études montrant des avancées dans les traitements de pathologies lourdes, la cancérologie en particulier, qui est le domaine auquel je m’intéresse préférentiellement en médecine.
Mais, j’ai la chance, dans mon métier de journaliste, de continuer à aller sur le terrain et de rencontrer des femmes et des hommes, malades ou proches, qui parlent de leur maladie, de leur traitement, de la façon dont ils vivent tout cela.
Et j’ai eu la chance , lors de mes années d’apprentissage de la médecine, d’avoir des maîtres qui n’avaient pas fait toute leur carrière à l’hôpital et qui savaient comment vivent les gens quand ils ne sont pas en pyjama dans un lit, en position de devoir tout subir et accepter.
Pourquoi donc, brutalement en ce week-end pascal, ressenté-je le besoin de vous dire cela ?
Parce que j’ai reçu un très court message ce matin d’une jeune femme admirable, Valou, que j’avais rencontrée il y a quelques années dans le cadre d’un reportage que je faisais sur les nouveaux traitements dits de « thérapie ciblée » dans le cancer du rein.
Ce message disait « mon amour s’est envolé ce matin ». Par là, elle m’apprenait le décès de Loic, son mari, le père de ses enfants, qui, depuis des années, se battait contre un cancer du rein très avancé et pour lequel il avait reçu plusieurs des toutes dernières molécules qui ont changé beaucoup de choses dans la vie des patients atteints de cette maladie et ils sont environ trois mille chaque année en France.
Comme je l’avais raconté dans un billet de ce blog, ces traitements ont totalement modifié la prise en charge de cette maladie. Il n’y avait quasiment rien à proposer aux patients il y a encore dix ans, on a maintenant cinq molécules.
L'AVERS ET LE REVERS Mais le progrès a un prix, et je n’entends pas là la signification monétaire du mot.
Le prix, ce sont les effets secondaires et la qualité de vie qui parfois en découle.
Or, et je l’avoue, quand j’ai vu les résultats des études dans les congrès, quand j’ai écouté certains médecins me raconter leur enthousiasme avec ces traitements, quand je suis resté d’un seul côté de la barrière, j’ai eu tendance à brosser un tableau très idyllique de ces thérapeutiques.
Au point d’avoir assez mal vécu d’être mis en cause sur un forum de patients. On m’y reprochait, justement, de ne parler que des bons côtés et d’oublier les effets secondaires.
Je trouvais injuste de me faire attaquer alors que je consacrais un sujet au cancer du rein dont on ne parle presque jamais.
Mais, avec le temps, avec aussi le fait d’être, depuis quelques mois, plus souvent au contact de patients dans les services, je me rends compte que parler de ces nouveaux traitements est loin d’être simple et qu’aujourd’hui, je ne bâtirais sûrement pas un reportage de la même façon.
Et c’est là que j’en reviens à Valou. Quand je l’ai contacté la première fois, je croyais parler à quelqu’un du monde médical. Elle connaissait par cœur le médicament, sous son nom chimique et commercial, elle savait tout des autres molécules et de leurs effets secondaires.
Sauf que Valou travaille dans une usine de composants électroniques et qu’elle a appris seule et formidablement bien.
Appris pour pouvoir se battre avec son Loic, appris pour devancer les complications, les reconnaître, les gérer.
PLUS OU MOINS BELLE LA VIE Je m’imaginais à la place des spécialistes qui suivaient Loic et qui avaient face à eux cette femme. J’aurais probablement été très agacé par moments de trouver une « experte profane » me parlant quasiment d’égale à égal, mais j’aurais été aussi très heureux et peut-être aussi, un peu lâchement, soulagé d’avoir une « partenaire » pour gérer une situation dont on sait qu’elle va, à un moment ou l’autre, se gâter.
En tant que journaliste, je me trouve donc devant une vraie difficulté et une drôle d’ambigüité. Il y a d’un côté un formidable progrès, avec des molécules qui détruisent des métastases et qui allongent la vie en mois, voire en années.
De l’autre, ces produits ne sont pas dénués d’effets secondaires, provoquent des hypertensions, des diarrhées, des atteintes de la paume des mains et de la plante des pieds qui peuvent rendre la marche parfois presque impossible.
Comment raconter l’un sans oublier l’autre ?
Les hiérarchies journalistiques veulent du « miracle » à la une ou à l’antenne. Je me souviens du titre sur deux pages d’un quotidien du matin « Une simple pilule pour traiter le cancer du rein ».
Les patients qui attendent le traitement ne veulent pas être désespérés et ils n’ont aucune raison de l’être, car ce sont de grands produits.
Mais, de l’autre côté il y a la réalité de tous les jours et des médecins qui ont du mal à comprendre pourquoi certains patients craquent malgré le « miracle ».
En ajoutant de la quantité de vie on n’ajoute pas forcément de la qualité de vie à cent pour cent.
Il faut savoir le dire et préparer les patients qui ont souvent lu, dans une salle d’attente, un hebdomadaire dont la page « santé » est souvent une magnifique page de promotion à la fois du médecin interviewé et du médicament proposé.
Ou bien ils ont vu le JT où nous avons été, moi le premier, trop approximatifs.
Au fur et à mesure des consultations auxquelles je participe, je suis étonné et heureusement surpris du niveau de conscience et d’information des patients. Ils ont envie de savoir et ils ne veulent pas qu’on les promène d’illusions en mensonges.
Je pense que les médecins ont également bien compris cela et qu’ils tiennent un langage de plus en plus dénué de faux-semblants.
J’essaierai, dans mon travail de journaliste, de ne plus l’oublier.
Ce sera ma façon de rendre hommage à Loic et à Valou qui se sont battus ensemble, pour le meilleur et, hélas, pour le pire.
Jean Daniel FLAYSAKIER
Jean-Daniel Flaysakier est rédacteur en chef adjoint, spécialiste des questions de santé à la rédaction de France 2. Il est médecin de formation. Il est également diplômé en épidémiologie de l'Ecole de santé publique de l'université Harvard, à Boston. http://blog.france2.fr/mon-blog-medical/index.php/2009/04/11/115366-medias-et-miracles-medicaux-a-trop-en-faire-on-ne-va-pas-au-paradis